Lire dans la péninsule arabique

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Au royaume du pétrole, il n’y a pas que des émirs et des barils du précieux liquide, on peut aussi y rencontrer quelques écrivains de talent, encore bien rares mais le voile se lève progressivement et en regroupant l’ensemble des pays de la péninsule, j’ai réussi tout de même à vous proposer une halte dans notre voyage littéraire en ces terres incendiées par le soleil. Nous rencontrerons donc tout d’abord un Saoudien, journaliste en France, qui est le premier auteur d’Arabie saoudite à s’exprimer directement en français. Il nous emmènera là où il est né, dans la montagne, au sud de la péninsule. Nous resterons dans le sud, au Yémen, avec Hayim Habshûsh qui a vécu au XIXe siècle et qui a accompagné un grand orientaliste dans son périple au royaume de la Reine de Saba. Nous terminerons ce périple avec une Irakienne, elle aussi journaliste en France, Alia Mamdouh, qui raconte Bagdad quand les Anglais y étaient encore les maîtres. Et pour accomplir ce voyage sous le soleil torride, nous partirons avec une très jeune Saoudienne qui fait partie de celles qui osent lever un coin de la « abaya » pour dévoiler la vie de la jeunesse dorée de Riyad.

Les filles de Riyad
Rajaa Alsanea (1981 – ….)
Pendant un an, tous les vendredis soir, une jeune saoudienne inonde la toile de ces mails qui scandalisent la bonne société locale parce qu’ils racontent l’histoire de quatre copines qui rêvent d’épouser un jeune homme qui les aime et les respecte. Ces mails se présentent toujours de la même façon : une citation sur l’amour en général, une introduction où elle dialogue avec ses lecteurs et enfin un épisode de la vie de ces quatre filles aux prises avec leurs problèmes de cœur, de famille, de société, de religion, … de tous ce qui rend difficile la vie d’une jeune Saoudienne cultivée, instruite et riche mais qui n’a, à peu près, aucun droit.
C’est la vie de Gamra qui sera repoussée par son mari occupé à un autre amour, de la douce Sadim follement éprise de son amoureux qui l’abandonne parce qu’elle lui a trop donné, de Michelle, à cheval sur deux sociétés, qui ne peut donc pas prétendre à un mariage pur et de Lamis, la seule à avoir réalisé leur rêve à toutes : se marier avec son premier amour.
Ce livre, édité au Liban pour contourner la censure saoudienne, a d’abord été diffusé sous le manteau à prix d’or et, devant son succès, a finalement été publié non seulement en Arabie saoudite mais dans le monde entier où il fait un triomphe. Il ose soulever un coin, large même, de la « abaya » de ces jeunes saoudiennes qui incarnent probablement le futur de cette nation aux prises avec ses contradictions. Fossilisée dans ses traditions, son histoire et surtout sa religion, la nation saoudienne, particulièrement celle du Nadjd, la partie centrale de l’Arabie qui a unifié ces peuplades autour du wahhabisme, a beaucoup de difficulté à intégrer la nouvelle donne sociale générée par l’argent qui se déverse à flot des puits pétroliers. Cette richesse permet l’accès aux nouvelles technologies, facilite les échanges entre les populations et notamment les jeunes qui usent et abusent de l’ordinateur et du téléphone portable pour échanger en dehors des yeux et des oreilles adultes. La rencontre avec les autres civilisations affluant dans le Golfe et que les Saoudiens côtoient lors des études qu’ils effectuent désormais dans les grandes universités anglo-saxonnes, provoque un choc culturel inévitable et déstabilise la jeunesse saoudienne qui voudrait vivre en adéquation avec son temps, sans remettre en cause les us et coutumes ancestraux.
Ce texte n’est pas seulement une remise en cause de cette société patriarcale, c’est également une analyse fine du jeu subtil des intrigues, cabales, dénonciations et autres manigances que les familles ourdissent pour s’assurer les meilleures places dans cette société où tout le monde se connait et où la moindre incartade peut-être montée en épingle et déstabiliser une famille. Et, à ce petit jeu, les mères sont devenues expertes au mépris du sort de leurs filles et de l’avenir des femmes dans cette société. Elles ont su convaincre les fils, qui voulaient essayer de briser le carcan dans lequel les femmes étouffent, de ne pas renoncer à la tradition et de respecter la religion des pères qui a souvent été un excellent alibi pour maintenir cette tradition et les familles dominantes au pouvoir. « Ils ne sont que des pions que leur famille déplace sur l’échiquier, et celui qui gagne, c’est celui dont la famille est la plus puissante ! »
Mais peut-être ces jeunes filles, qui ont fait des études brillantes, osent affirmer leur personnalité, créent des entreprises, peuvent vivre sans homme pour les guider, ont-elles ouvert une voie que d’autres emprunteront pour fonder une société nouvelle où la femme aura sa vraie place. « A tous les mécontents et les revanchards, aux révoltés et aux furieux, à ceux qui considèrent que les déboires des autres ne sont rien à côté de ce qu’ils endurent… C’est à vous que j’adresse ces mails, qui ouvriront peut-être la brèche et feront naître le changement. »
Un ouvrage qui refuse le titre de roman mais contient certainement plus de piment que bien des livres qui revendiquent ce label pour faire bonne impression sur les rayons des librairies.

La ceinture – Ahmed Abodehman (1949 – ….)
Ahmed nous emmène dans son village natal au cœur de la montagne de l’Assir, au sud de l’Arabie saoudite, et nous raconte, dans une langue poétique et émouvante, son pays de paix qui n’a pas grand-chose à voir avec les clichés qu’on véhicule habituellement sur cette région. Un petit livre de souvenirs d’enfance qui évoque la vie au village, ses coutumes, ses mœurs avec des anecdotes qui font plutôt sourire et pourraient nous laisser croire ce que disait sa mère : « Nous sommes tous des poèmes, les arbres, les plantes, les fleurs, les rochers, l’eau… Si tu écoutes bien les choses, tu peux les entendre chanter. » Un petit coin du monde où dame nature est encore la déesse du monde.
Yémen – Hayîm Habshûch (1833 – 1899)
Hayîm Habsûsh, juif yéménite, a accompagné l’orientaliste français Joseph Halévy dans la grande mission qu’il a accomplie au Yémen en 1869-70, avec pour objectif de recenser et relever le maximum d’inscriptions concernant la civilisation sabéenne de la fameuse Reine de Saba. La moisson fut abondante et Halévy en tira une gloire conséquente qui ne laissait aucune place à son guide. Pour relativiser le rôle du Français, l’Autrichien Glaser, qui a accompli le même périple quelques années plus tard avec le même guide, incita Hashûsh à raconter son voyage et surtout à bien mettre en évidence le rôle qu’il y joua. Le résultat est un livre absolument étonnant, publié en 1995, racontant certes la mission d’Halévy, mais y ajoutant maints digressions, récits, anecdotes, réflexions, commentaires, … qui font de celui-ci une source incomparable sur la vie au Yémen au XIXe siècle et notamment sur celle des « juifs protégés » qui y vivaient misérablement.
La naphtaline – Alia Mamdouh (1944 – ….)
A travers les yeux d’un enfant de neuf ans, Alia Mamdouh raconte la vie en Irak, dans un quartier de Bagdad, sous le protectorat britannique, avec cette odeur de naphtaline caractérisant les vieilles choses et les vieilles habitudes qui, au fil des jours, s’incrustaient dans la mémoire olfactive de ce gamin. Un récit tonique, truculent, qui se déroule au rythme de l’enfant et rapporte comment les femmes, malgré le traitement qu’on leur inflige, sont les véritables maîtresses du quartier, les hommes n’étant, en définitive, que des grands seigneurs en apparence qui, sous des dehors autoritaires, sont d’une parfaite insignifiance. Un roman grouillant comme une rue de Bagdad avec sa tendresse et ses violences ordinaires avant que la violence guerrière n’en devienne la seule autorité.
Denis BILLAMBOZ – à lundi prochain pour la suite de notre périple littéraire au Moyen-Orient – Et pour consulter mes articles précédents, cliquer sur le lien ci-dessous :

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